POUR LA MEMOIRE
                               

Samedi dernier , 9 février , j'ai perdu un
ami ! Nous ne nous connaissions pas depuis longtemps mais des liens très forts nous unissaient . Il avait été déporté le 20 Août 1940 avec mon arrière-grand-père par le tristement célèbre Convoi des 927 au camp de Mauthausen ! 


Jésus Tello, est décédé à 86 ans, ses obsèques ont été célébrées mardi dans l'intimité au cimetière de Tournefeuille. Il habitait la commune depuis de 1966, et était l'un des rares survivants du camp de Mauthausen en Autriche. Après la guerre d'Espagne, il est arrivé au camp de réfugié des Alliers près d'Angoulême avec sa famille et 927 autres réfugiés républicains Espagnols croyant leur calvaire terminé. Parqués dans des baraquements au milieu de la boue dans un camp encerclé de barbelés, les conditions étaient très dures mais la famille était réunie. Après l'invasion de la France par les Allemands il a été envoyé à 16 ans avec son père en août 1940 dans des wagons à bestiaux dans l'enfer de Mauthausen, le reste de sa famille fut renvoyé en Espagne.

Immatriculé n°3841

«À notre arrivée au camp, avait-il raconté dans une précédente interview, on nous a rasé, désinfecté et douchés, tout cela sous les hurlements et les coups de nerf de bœuf, et habillé avec sur notre uniforme un triangle bleu, celui des apatrides. On m'a attribué le n° 3841 et mon père le 3 840. J'ai passé ces 5 ans à travailler dans une carrière à casser et à transporter des pierres, sous les insultes et les coups de crosse. Les plus faibles étaient tout de suite éliminés par la pénibilité du travail, la nourriture insuffisante, les plaies qui s'infectaient et les maladies. Mon père est mort du typhus le 28 août 1 941. Ce qui m'a sauvé c'est ma volonté farouche de survivre, et de ne pas céder à ces bourreaux. J'ai aussi attrapé le typhus, mais j'ai continué à travailler, à ceux qui ne le pouvaient on leur faisait une piqûre d'essence en leur faisant croire que l'on les soignait, puis chargés dans des camions on les jetait dans une fosse. Heureusement, il y avait une grande solidarité entre les Espagnols».

Marqué par cette effroyable expérience, il faisait depuis de nombreuses années des interventions dans les collèges pour raconter ces atrocités afin que nul n'oublie. Il avait aussi témoigné lors de la dernière cérémonie du 8 mai au monument aux morts.

Jésus , ce fut un grand honneur pour moi de te connaître ! Tu resteras à jamais dans ma mémoire et dans mon coeur ! Reposes en paix , tu l'as bien mérité !


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AUJOURD'HUI , 17 NOVEMBRE 2012 NOUS AVONS RENDU HOMMAGE A MANUEL !











AU REVOIR , MANUEL NOUS NE T'OUBLIERONS PAS !

                





Communiqué de l' Association pour le Souvenir de l'Exil Républicain Espagnol en France

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Manuel MADRONA , Président d'Honneur de l'ASEREF nous a quitté.

Républicain espagnol,il a passé 10 ans ,dans les prisons franquistes.


Il aura lutté toute sa vie pour la liberté et la justice et se sera énormément investi dans le devoir de
mémoire,notamment auprès des écoliers,collégiens et lycéens du département auprès desquels
il témoignait de la réalité de la guerre d'Espagne,de la Retirada et de la répression franquiste.

Ce Samedi 17 Novembre, un hommage lui sera rendu à la Bourse du Travail de Sète à partir de
11H 30.

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Il y a quelques jours s'éteignait Antonia , ma grand-tante , après avoir tant souffert dans son enfance ! Vaincue par la maladie et la vie dont elle n'a jamais pu profiter vraiment ! Je te garde à jamais dans ma mémoire , pour ce que tu as souffert , ce que tu as vécu , pour tes combats si douloureux , pour ce que tu étais ! Je ne t'oublierai jamais !

 

 

24 au 26 août 1944 Libération de Paris par les chars... espagnols de la nueve ! samedi 25 août 2012.
 

Le 24 août 1944, la 9ème compagnie du Régiment de marche du Tchad enfonce, Porte d’Italie, la ligne formée par la garnison allemande (environ 16000 à 20000h à ce moment-là).

Cette troupe d’élite de la 2ème DB est composée en particulier de 11 half-tracks. Son objectif consiste à trouer la résistance allemande pour aller renforcer les Parisiens insurgés qui ont pris l’Hôtel de Ville, en plein centre de la capitale. A 21h22, ils arrivent à destination.

Ces hommes-là étaient des républicains espagnols engagés dans l’armée française pour vaincre le fascisme. Pendant 60 ans, ils n’ont même pas été invités aux commémorations. Un seul est encore vivant. Il était temps de leur dire merci et de rappeler leur souvenir.

La video qui peut être visionnée en cliquant sur l’adresse URL portée en source représente les deux premières minutes d’un documentaire de 55 minutes sur le sujet.

A) La véritable histoire de la Libération de Paris

Longtemps, les manuels d’histoire ont prétendu que la Libération de Paris a commencé le 25 août 1944. Après avoir lu le livre de la journaliste Evelyn Mesquida paru au Cherche-Midi, ils vont devoir corriger leur « erreur ». C’est en effet le 24 août 1944 que la 9ème compagnie de la 2ème division blindée du général Leclerc est entrée dans Paris par la porte d’Italie. Le capitaine Raymond Dronne était à la tête de la « Nueve », une unité composée de républicains espagnols, dont pas mal d’anarchistes, qui espéraient finir leur lutte antifasciste à Madrid. Un espoir déçu pour ne pas dire trahi.

Impossible de parler de la Nueve sans remonter à la guerre d’Espagne, guerre civile et révolutionnaire où tout un peuple osa rêver d’un autre futur. A partir du 17 juillet 1936, date du soulèvement franquiste au Maroc, les Espagnols durent lutter pendant trente-trois mois contre le fascisme international (Hitler, Mussolini et Salazar prêtaient main au général Franco) et contre quelques faux-amis avant d’affronter l’insoutenable « Retirada », une retraite infernale qui les conduisait vers la mort (ce fut le cas notamment pour le poète Antonio Machado à Collioure) ou dans des camps de concentration français.

Après la victoire des troupes franquistes, fin janvier 1939, une effroyable fourmilière se rua vers la France. Une marée humaine qui échoua, sous la pluie ou la neige, sur des plages aujourd’hui recherchées par les estivants. Peu de vacanciers savent que les sites où ils lézardent furent d’ignobles lieux de souffrances et même les cimetières de milliers d’Espagnols victimes du froid, de la faim, de la gangrène, de la dysenterie, du désespoir. Désarmés, humiliés, parqués comme des bêtes, couverts de poux et de gale, maltraités par les tirailleurs sénégalais, les « rouges » échappaient aux balles fascistes pour connaître une nouvelle barbarie à la française dans une vingtaine de camps situés dans le sud-ouest (Argelès, Saint-Cyprien, Le Vernet, Gurs, Agde, Bram, Septfonds...). Dans son livre La Lie de la terre, Arthur Koestler écrit que le camp du Vernet où il a été emprisonné se situe « au plus haut degré de l’infamie ».

Parmi les vaincus, on comptait des nuées d’« extrémistes dangereux », c’est-à-dire des militants très politisés, des combattants aguerris et des dynamiteurs redoutables. Le camp du Vernet regroupait à lui seul 10 200 internés dont la quasi-totalité des anarchistes de la 26ème division qui a succédé à la célèbre colonne Durruti. Que faire de ce gibier de potence ? Les autorités françaises en envoyèrent bon nombre, plus de 30 000, dans une cinquantaine de camps de travail disciplinaires situés en Afrique du Nord (Relizane, Bou-Arfa, Camp Morand, Setat, Oued-Akrouch, Kenadsa, Tandara, Meridja, Djelfa...). Véritables esclaves, victimes de tortures et d’assassinats, les Espagnols construisirent des pistes d’aviation, coupèrent des forêts, participèrent à la construction de la voie ferrée transsaharienne qui devait relier l’Algérie au Niger. Les anarchistes espagnols avaient été convertis en « pionniers de cette grande œuvre humaine » comme l’annonça le journal Aujourd’hui.

L’engagement dans la Légion fut une curieuse alternative offerte aux combattants espagnols. Entre la Légion et la menace d’un retour en Espagne (où une mort certaine les attendait), le choix n’était pas simple, mais néanmoins rapide. Ceux incorporés dans le 11ème régiment se retrouvèrent ainsi sur la ligne Maginot... D’autres iront dans le 11ème bataillon de marche d’Outre-mer qui participa à la formation de la 13ème demi-brigade de la Légion étrangère qui combattit contre les Allemands dans les neiges norvégiennes avant de batailler en Libye, en Syrie, en Egypte, en Tunisie... Engagés parfois juste pour survivre ou recevoir des soins vitaux, ballottés entre les revers militaires de la France et les rivalités au sein des forces alliées, les Espagnols étaient comme des bouchons dans une mer déchaînée.

Si de nombreux Espagnols évadés des camps avaient rejoint la Résistance en France, c’est en Afrique que d’autres allaient contribuer à écrire un chapitre de l’histoire de la 2ème DB. Début 1943, après le débarquement allié en Afrique du Nord, des Espagnols libérés des camps de concentration du Sahara (majoritairement des anarcho-syndicalistes de la CNT) composèrent un bataillon de corps francs. Une autre compagnie commandée par Joseph Putz, officier français héros de 14-18 et de la guerre d’Espagne, intégra aussi d’anciens prisonniers espagnols. Ce genre d’unités de combat déplaisaient fortement à certains officiers français formatés par Vichy et fraîchement gaullistes. Après la reprise de Bizerte, où les Espagnols pénétrèrent les premiers, la presse d’Alger et les généraux américains saluaient cependant « l’habilité de ces guerriers primitifs »...

La 2ème DB vit le jour au Maroc dans la région de Skira-Temara, au sud de Rabat, le 24 août 1943. Un an après, jour pour jour, l’une ses compagnies, la Nueve, allait libérer Paris. Si Leclerc était el patron pour les Espagnols, Raymond Dronne en était el capitàn. La Nueve fut l’une des unités blindées du 3ème bataillon du régiment de marche du Tchad appelé aussi « le bataillon espagnol ». 146 hommes de la Nueve, sur 160, étaient espagnols ou d’origine hispanique. On y parlait le castillan. Les ordres étaient donnés en espagnol et même le clairon sonnait à la mode espagnole. Les anarchistes y étaient nombreux. Des hommes « difficiles et faciles » selon le capitaine Dronne. Difficiles parce qu’ils ne respectaient que les officiers respectables. Faciles parce leur engagement était total quand ils respectaient leurs officiers. Antimilitaristes, les anars étaient des guerriers expérimentés et courageux. Plus guérilleros que soldats, ils menaient une guerre très personnelle. « On avait tous l’expérience de notre guerre et on savait ce qu’il fallait faire, se souvient German Arrue, ancien des Jeunesses libertaires. On se commandait nous-mêmes. On était une compagnie de choc et on avait tous l’expérience d’une guerre dure. Les Allemands le savaient... »

Autre originalité, les Espagnols ont baptisé leurs half-tracks avec les noms de batailles de la guerre d’Espagne : Guadalajara, Brunete, Teruel, Ebro, Santander, Guernica. Pour éviter les querelles, les noms de personnalités avaient été interdits. Par dépit et dérision, des anarchistes qui souhaitaient honoré Buenaventura Durruti, grande figure de la CNT et de la FAI, avaient alors baptisé leur blindé Les Pingouins. D’autres encore s’appelaient Don Quichotte ou España Cani (Espagne Gitane). Raymond Dronne ne fut pas en reste quand il fit peindre sur sa jeep un joli Mort aux cons.

« A la playa ! A la playa ! » Avec un humour noir datant des camps de concentration de 1939, les Espagnols plaisantaient en mer avant de débarquer dans la nuit du 31 juillet au 1er août près de Sainte-Mère-Eglise. La division Leclerc était la première troupe française a mettre les pieds en France depuis quatre ans. Zigzaguant entre les positions nazies, la 2ème DB avala les kilomètres d’Avranches au Mans. Avançant cachée dans des chemins discrets et des sentiers touffus, la Nueve roulait vers Alençon en combattant et capturant de nombreux Allemands (qu’ils donnaient aux Américains contre de l’essence, des bottes, des mitrailleuses ou des motos selon le nombre et le grade des ennemis). La bataille de Normandie passa par Ecouché. Les Espagnols fonçaient « comme des diables » sur les soldats des 2ème et 9ème panzerdivisions. Plus drôle, le capitaine Dronne mentionne une anecdote amusante dans ses mémoires. Les anarchistes et autres anticléricaux se cotisèrent pour que le prêtre du coin puisse se racheter une statue du Sacré-Cœur. La sienne n’avait pas survécu aux combats. La statue achetée avec l’argent des bouffeurs de curés est restée en place jusqu’en 1985.

Contrariant les plans américains, Leclerc décida, le 21 août, de lancer ses troupes sur Paris. De Gaulle approuva immédiatement. Le 23 à l’aube, la division se mettait en route avec le régiment du Tchad en tête et la Nueve en première ligne. Le 24 au matin, sous la pluie, les défenses extérieures de Paris étaient atteintes. Les combats contre les canons allemands furent apocalyptiques. Parallèlement, Dronne mettait le cap sur le cœur de la capitale par la porte d’Italie. La Nueve arrivera place de l’Hôtel-de-Ville vers 20 heures. Le lieutenant Amado Granell, ex-capitaine de la Colonne de fer, fut le premier officier « français » reçu par le Conseil national de la résistance. Georges Bidault, président du conseil, posa avec lui pour la seule photo que l’on connaisse de ce moment historique. Le journal Libération la publia le 25 août.

« C’est les Français ! » criaient les Parisiens. Quand la rumeur annonça qu’il s’agissait en fait d’Espagnols, de nombreux compatriotes accoururent. Plus de 4 000 Espagnols engagés dans la résistance intérieure participèrent à l’insurrection parisienne. La nuit fut gaie. Dronne s’endormit bercé par les hymnes républicains. « Quelle joie pour ces Espagnols combattants de la liberté ! », écrivit-il plus tard.

Plus de 20 000 Allemands bien armés occupaient encore Paris. Leclerc et son état-major entrèrent par la porte d’Orléans où l’accueillit une délégation des Forces françaises de l’intérieur. Le général de Gaulle l’attendait gare Montparnasse. Le nettoyage n’était pas terminé. Une colonne de la Nueve fut chargée de déloger les Allemands d’un central téléphonique. Appuyée par la Résistance, la 2ème DB partit combattre autour de l’Opéra, de l’hôtel Meurice, des jardins du Luxembourg, de l’école militaire... Le 25 août au matin, un résistant espagnol, Julio Hernandez, déployait le drapeau républicain, rouge, jaune et violet sur le consulat d’Espagne. Il fut moins facile d’abattre les forces d’élite allemandes qui défendaient l’hôtel Meurice. Ce sont encore des Espagnols, Antonio Gutiérrez, Antonio Navarro et Francisco Sanchez, qui partirent à l’assaut des lieux avec grenades et mitraillettes. Il désarmèrent le général Dietrich von Choltitz, gouverneur militaire de Paris, et son état-major.

Le 26 août, la Nueve fut salué par de Gaulle et reçut les honneurs militaires. Au risque de déplaire à de nombreux soldats français, de Gaulle chargea la Nueve de le couvrir jusqu’à Notre-Dame. Précaution utile pour éliminer les miliciens qui tiraient lâchement sur la foule en liesse. De Gaulle et Leclerc furent également protégés par la Nueve dans la cathédrale même. Des tireurs isolés y sévissaient. Amado Granel ouvrait la marche dans une grosse cylindrée prise à un général allemand. Curieuse escorte que ces half-tracks nommés Guernica, Teruel, Résistance et Guadalajara qui arboraient côte à côte drapeaux français et drapeaux républicains espagnols... Un autre drapeau républicain, de plus de vingt mètres de long celui-là, fut déployé à leur passage par des Espagnols, hommes, femmes et enfants, survoltés.

Après un temps de repos dans le bois de Boulogne où les combattants reçurent la visite de Federica Montseny (militante CNT et ancienne ministre de la Santé du gouvernement républicain), de camarades anarcho-syndicalistes, mais aussi d’admiratrices..., le moment de repartir vint le 8 septembre. De nouveaux volontaires, dont des Espagnols de la Résistance, s’étaient engagés dans les troupes de Leclerc pour continuer le combat, mais une page se tournait. Les Espagnols reçurent l’ordre d’enlever leurs drapeaux des half-tracks désormais légendaires.

Avant d’arriver au QG d’Hitler, à Berchtesgaden, la Nueve traversa des batailles épiques dans des conditions souvent extrêmes à Andelot, Dompaire, Châtel, Xaffévillers, Vacqueville, Strasbourg, Chateauroux... Les Allemands subirent de gros revers, mais les pertes humaines étaient aussi importantes chez les Espagnols. « On a toujours été de la chair à canon, un bataillon de choc, soutient Rafael Gomez. On était toujours en première ligne de feu, tâchant de ne pas reculer, de nous cramponner au maximum. C’était une question d’honneur. » Question de revanche aussi contre les nazis qui ont martyrisé le peuple espagnol et déporté des milliers de républicains à Buchenwald et à Mauthausen.

Vainqueurs d’une course contre les Américains, les Français, dont des combattants de la Nueve, investirent les premiers le « nid d’aigle » d’Hitler le 5 mai. Après avoir mis hors d’état de nuire les derniers très jeunes nazis qui défendaient la place jusqu’à la mort, officiers et soldats burent du champagne dans des coupes gravées « A H ». Les soldats glanèrent quelques souvenirs (jeu d’échecs, livres anciens, cristallerie, argenterie...) qui améliorèrent ensuite un ordinaire parfois difficile. Les médailles pleuvaient pour les Espagnols rescapés, mais la victoire était amère. Les projets de ces révolutionnaires internationalistes ne se limitaient pas à la libération de la France. « La guerre s’est arrêtée malheureusement, regrettait encore, en 1998, Manuel Lozano, anciens des Jeunesses libertaires. Nous, on attendait de l’aide pour continuer le combat et libérer l’Espagne. »

Le livre d’Evelyn Mesquida, enfin traduit en français par le chanteur libertaire Serge Utge-Royo, est étayé par de nombreuses références historiques, mais aussi par les témoignages des derniers héros de la Nueve recueillis entre 1998 et 2006. Ce qui donne un relief et un souffle extraordinaires. Evadés des camps de concentration, déserteurs de la Légion, anciens des corps francs..., chacun avait un parcours singulier. Antifascistes viscéraux, tous étaient pressés d’aller régler son compte à Franco. « Il y a eu des Espagnols si désespérés de voir que l’aide ne venait pas qu’ils en ont perdu la tête et sont partis vers la frontière, sans vouloir en écouter davantage... Ils sont tous morts », explique Fermin Pujol, ancien de la colonne Durruti et de la 26ème division. Amado Granell, le premier soldat français reçu à Paris, retourna clandestinement en Espagne en 1952. Il mourut à 71 ans dans un accident de la route près de Valence. Dans son journal, le capitaine Dronne écrit qu’on aurait trouvé des traces de balles sur la voiture...

Les manuels scolaires ont gommé la présence des Espagnols dans la Résistance ou dans les forces alliées et de nombreuses personnes s’étonnent d’apprendre que des républicains espagnols, dont nombre d’anarchistes, ont joué un rôle important dans la lutte contre les nazis et la libération de Paris. Comment s’est opérée cette amnésie générale sur fond de patriotisme véreux ? Dans la préface de l’ouvrage, Jorge Semprun, ancien résistant communiste déporté et ancien ministre de la Culture espagnol, l’explique. « Dans les discours de la Libération, entre 1944 et 1945, des centaines de références furent publiées sur l’importance de la participation espagnole. Mais peu après, à la suite de la défaite allemande et la libération de la France, apparut tout de suite la volonté de franciser – ou nationaliser – le combat de ces hommes, de ceux qui luttèrent au sein des armées alliées comme au sein de la Résistance. Ce fut une opération politique consciente et volontaire de la part des autorités gaullistes et, dans le même temps, des dirigeants du Parti communiste français. Quand arriva le moment de réécrire l’histoire française de la guerre, l’alliance communistes-gaullistes fonctionna de façon impeccable. »

Aussi incroyable que cela puisse paraître, Luis Royo est le seul membre de la Nueve a avoir reçu un hommage officiel de la mairie de Paris et du gouvernement espagnol en 2004 à l’occasion de la pause d’une plaque sur le quai Henri-IV près de l’Hôtel-de-Ville. En 2011, surveillés de près par la police, une poignée d’ami-e-s de la république espagnole, dont Evelyn Mesquida, s’est regroupée dans l’indifférence quasi-générale lors de la commémoration de la libération de Paris.

« Avec l’histoire de la Nueve, on possède un thème de grand film », affirme Jorge Semprun. Assurément. Le plus bel hommage que l’on pourrait rendre aux milliers d’Espagnols combattants de la liberté serait surtout de poursuivre leur lutte pour un autre futur.

Evelyn Mesquida, La Nueve – 24 août 1944, ces Républicains espagnols qui ont libéré Paris. Traduction de Serge Utge-Royo. 16 pages de photos. Collection Document, éditions du Cherche-Midi, 384 pages. 18€.

B) Article de La Dépêche du Midi

Ces Espagnols ont libéré Paris

Histoire. Pour le 60e anniversaire de la libération de la capitale, on a enfin invité les combattants espagnols. à l’époque, la France n’avait pas été généreuse avec eux.

Guadalajara, Brunete, Madrid, Teruel, Ebro, Guernica, Santander, Belchite. À côté des insignes de la deuxième DB et de la France libre, les premiers half-tracks qui pénètrent dans Paris pour la libérer le 25 août 1944 portent les noms des principales batailles de la guerre d’Espagne. À bord de ces véhicules blindés semi-chenillés se trouvent deux sections de la neuvième compagnie espagnole de la deuxième DB, la « Nueve », commandée par le capitaine Dronne. De Leclerc, elle a reçu l’ordre de « filer droit sur Paris, d’entrer dans Paris, de prendre tout ce que vous trouverez et de faire vite ».

Le déroulé de la libération de Paris est connu. Il a été maintes fois raconté avec ses barricades, ses jeunes femmes en liesse embrassant les libérateurs, De Gaulle descendant à pied les Champs-Élysées. Le rôle des antifascistes étrangers, en particulier ceux des maquis de Rambouillet et de l’Oise, est connu. Pas celui des Républicains espagnols. Ils ont été jusqu’ici les grands oubliés de cette bataille.

Ils ont fait la guerre contre Franco et ses alliés

Ils s’appellent Amado Granell, Bamba, Martin Bernal, Fabregas, Montoya, Moreno, Camons, Gualda, Lozano, Royo, les frères Pujol, Carapalo, les Gitans… Des hommes venus de toute l’Espagne. De 1936 à 1939, ils ont fait la guerre contre Franco et ses alliés, Hitler et Mussolini. « Avec des moyens de fortune, ils ont affronté les armes puissantes que les nazis mettaient au point en Espagne et qui sèmeront un peu plus tard la mort en Europe », dit Evelyn Mesquida, spécialiste de la question. En 1939, quand la Catalogne est tombée, ils ont quitté l’Espagne, près de 500.000, une vraie marée humaine, à travers les Pyrénées.

La France, qui n’est pas en guerre contre l’Espagne et encore moins contre les Républicains espagnols, les parque dans les « camps du mépris », à Argelès, Saint-Cyprien, Barcarès, Sept-Fons, au Vernet… Plus de 15.000 y meurent de leurs blessures, de faim, de froid.

En 1940, ils sont contraints de participer à l’effort de guerre français. Par milliers, ils sont incorporés de force dans la Légion étrangère. Vichy se méfie de ces « rouges » et les transfère en Algérie. À l’armistice, pour mieux les surveiller, le régime de Pétain les rassemble dans des « camps de châtiment » au Sahara.

Lors du débarquement allié en novembre 1942, la situation se complique à Alger. Les Américains affichent une nette préférence pour Giraud. Les gaullistes sont affaiblis d’autant plus que la colonne Leclerc qui a combattu au Sahara et au Tchad doit se défaire de ses tirailleurs sénégalais et camerounais, une bonne moitié de ses effectifs. Les Américains ne veulent pas des Noirs dans les unités blindées. Leclerc lance un appel aux « volontaires » espagnols (3.500 selon certaines sources).

Et ils arrivent. Ils s’évadent des camps du Sahara, ils désertent la Légion. La rumeur courait que le débarquement allait se faire par le sud de l’Espagne. Après avoir vaincu l’Allemagne, ils étaient convaincus de pouvoir retourner en Espagne et de reprendre la lutte contre le franquisme. Avec, cette fois, du bon matériel.

Ils se rassemblent donc à l’appel du commandant Joseph Putz, héros de la Première Guerre mondiale et des Brigades internationales. Avec lui, ils intègrent le 3e bataillon du régiment de marche du Tchad de la 2e DB, aussitôt appelé le « bataillon espagnol » qui comprenait trois compagnies. Des trois, seule la 9e, la « Nueve », a le statut d’unité espagnole. La plupart de ses officiers sont espagnols. Ils commandent leurs hommes dans leur langue.

« Du courage et une grande expérience du combat »

Combien d’Espagnols sur les 14.500 hommes de la 2e DB qui entrent dans Paris ? Une bonne centaine au 1er août 1944. D’eux, le 1er janvier 1945, le capitaine Dronne écrit : « Les Espagnols se sont remarquablement battus. Ils sont délicats à commander mais ils ont énormément de courage et une grande expérience du combat. Certains traversent une crise morale nette due aux pertes subies et surtout aux événements d’Espagne. »

À cette date, ils ne sont plus que 51. Une dizaine est tombée en Normandie, 30 à Paris, d’autres dans les sanglants combats d’Alsace.

Dronne ajoute : « De là à partir sans plus attendre, même en désertant, il n’y a qu’un pas. » Déjà, après la prise de Paris, certains se sont « évaporés » pour rejoindre les leurs dans le sud et le sud-ouest de la France. Ils ont compris que les Alliés ne songent pas à Madrid. Le dernier carré ira jusqu’à Berchtesgaden, le nid d’aigle d’Hitler.

Tous sont démobilisés sans véritable indemnisation de la part de la France.

Il leur faudra attendre soixante ans pour que Paris leur rende hommage.


Louis Royo, le dernier de la « Nueve »

« Des Républicains espagnols qui sont entrés dans Paris avec la Nueve, la neuvième compagnie de la deuxième DB, commandée par le capitaine Dronne, il ne reste que moi. Je suis fier de participer au soixantième anniversaire de la libération de la capitale. Pour le cinquantième, personne n’a pensé à nous. Nous n’avons pas été invités aux commémorations. Nous étions alors plusieurs. Maintenant, il ne reste plus que moi. Les autres sont partis sans reconnaissance.

J’avais 17 ans quand j’ai fui le franquisme. Je suis arrivé en France en 1939 par les montagnes à Prats-de-Molo. J’ai été interné sur place puis déplacé au camp d’Agde. Là, des tantes qui étaient installées dans la région sont venues me réclamer. Leurs hommes étaient à la guerre. Elles avaient besoin de bras à la ferme. Quand il y a eu l’armistice, les autorités françaises n’ont pas voulu renouveler mes papiers. Les gendarmes m’ont donné le choix, l’Espagne, l’Allemagne ou la Légion pour laquelle j’ai opté comme beaucoup d’Espagnols. J’ai déserté pour la France Libre, la 2e DB. Quand les Américains ont eu consolidé la tête de pont normande nous avons débarqué le 1er août 44 à Omaha Beach. Nous avons nettoyé la poche de Falaise du 7 au 21 août. Le 23, nous avons couché à Arpajon, le 24 neutralisé un char allemand à la Croix de Berny. Le 25 à Paris, notre bataillon a libéré les Invalides et l’Ecole Militaire. Le 26, nous avons rejoint l’Hôtel de Ville. Puis on a attendu de l’essence au Bois de Boulogne jusqu’au 7 septembre avant de partir vers la Moselle où j’ai été blessé. Depuis, j’ai un bout de ferraille dans le poumon. j’ai été soigné dans un hôpital américain en Angleterre puis j’ai été démobilisé sans un sou, sans habits, sans logement, sans travail ».

Article de Télérama

Des oubliés, l’Histoire n’en manque pas. A l’instar de Rachid Bouchareb et son film Indigènes, Alberto Marquardt a voulu sortir de l’ombre des soldats de la Seconde Guerre mondiale. En l’occurrence ceux de la 9e compagnie, les premiers à avoir pénétré dans Paris au jour de sa libération. Leur particularité ? Pratiquement tous étaient des républi­cains espagnols. Seules les voix des deux derniers survivants s’élèvent aujourd’hui pour témoigner du tragique destin de ces hommes de la « Nueve ».

Manuel Fernandez et Luis Royo ont attendu plus de soixante ans avant de se voir officiellement décorés. On ne sent pourtant aucune trace d’amertume dans leurs propos. Défaits par l’armée franquiste en 1936, ils ont choisi, comme des centaines de milliers de républicains, de traverser les Pyrénées. D’abord ignorés puis maltraités par un pays qui ne voulait pas d’eux, ces hommes ont toutefois fini par combattre dans les rangs de l’armée française. Mais, disent-ils, ils n’ont jamais combattu pour un drapeau, toujours pour un idéal.

Ce documentaire de bonne facture a le mérite de les mettre en lumière, eux et leurs camarades. Mais, peut-être un peu trop linéaire et formel, il ne parvient pas à retranscrire l’essence profondément tragique de la vie de ces hommes. Guidés dix ans durant par l’espoir de libérer leur pays du joug de Franco, ils n’ont pour la plupart jamais revu leur terre natale. Cette diffusion au lendemain de l’anniversaire de la libération de Paris reste néanmoins une initiative à saluer.

Sofiane Sehili

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SAMEDI 14 JUILLET 2O12


Première victoire: le 25 août, le drapeau de la République flottera officiellement sur le parvis de l’Hôtel de Ville lors des cérémonies de la libération de Paris

L’appel  des républicains espagnols, de descendants de républicains espagnols et de leurs amis à assister officiellement avec le drapeau de la seconde république espagnole a recueilli un millier de signatures en provenance de France,  d’Espagne et de bien d’autres pays. Cet appel a pour objectif de  commémorer la Libération de paris et d’honorer,  par la même occasion,  les valeureux républicains espagnols de la Nueve, Compagnie intégrée dans la deuxième Division Blindée du Général Leclerc, qui y contribua et dont les chars de combat  portaient le nom de batailles de la guerre d’Espagne.
Suite à cette importante initiative initiée par des républicains espagnols et leurs descendants en région parisienne, et grâce notamment à Rose-Marie Serrano, puis relayée par l’Association pour le Souvenir de l’Exil Républicain Espagnol en France (ASEREF) et son président Eloi Martinez Monegal, la mairie de Paris pour la première fois accepte  que nous puissions assister avec portes drapeaux aux cérémonies officielles de la libération de Paris. Des délégations des  associations signataires de l’appel pourront être également présentes dans les tribunes soit :  ASEREF  (ASSOCIATION pour le SOUVENIR de l'EXIL  RÉPUBLICAINS ESPAGNOL en France) ; MERR-32  (« Mémoire de l’Espagne Républicaine et Résistante du Gers ») ; AY  CARMELA (Association Mémoire Espagnole ; GUÉRILLERO  OUBLIÉ ; MHRE-89  (Mémoire Histoire des Républicains Espagnols de l'Yonne) ; « FÉDÉRATION SOLIDARITÉ  SANS  FRONTIERES France Nord » et "SOLIDARIDAD SIN FRONTERAS REGION DE PARIS" ; ACER  (Amis des  Combattants en Espagne Républicaine).

Il faut maintenant une reconnaissance nationale

L’action unie des associations mémorielles, de leurs adhérents et sympathisants a permis ce premier pas vers la reconnaissance du rôle des républicains espagnols dans la libération de Paris, des républicains espagnols qui étaient certes dans les premiers à entrer avec les chars de la deuxième db de Leclerc mais qui étaient aussi dans les rues de Paris aux côtés des autres résistants et FFI pour mener le combat de la victoire.
Reste aujourd’hui à aller encore plus loin et obtenir du gouvernement et du Président de la République la reconnaissance officielle nationale qu’attendent les descendants des républicains espagnols pour le rôle que leurs parents et grands-parents ont joué dans la libération de la France et de nombreuses grandes villes, plusieurs milliers y perdirent la vie. Ces républicains espagnols qu’un gouvernement de la troisième République française enferma en 1939 dans des camps de concentration bien français, plusieurs milliers y laissèrent leur vie. Ces républicains espagnols déportés sur dénonciation de la police de Vichy vers les camps nazis, notamment Mauthausen, plusieurs milliers y furent exterminés. Ces républicains espagnols contraints aussi au travail forcé sous surveillance policière en France dans les années quarante. La France doit reconnaître sa responsabilité historique pour ces dizaines de milliers de morts républicains espagnols, La France doit reconnaître leur rôle de libérateurs au même titre qu’elle l’a fait pour les autres résistants. Nous demandons vérité, justice et reconnaissance pour les républicains espagnols qui luttèrent pour la liberté en Espagne et en France.

ASEREF


MÉMOIRE VIVANTE
Bulletin de
la Fondation
pour la
mémoire de
la Déportation
MÉMOIRE VIVANTE N° 62/1
Le train d’Angoulême:
PREMIER CONVOI
DE DÉPORTÉS
parti de France
Le 20 août 1940, un train transportant environ 900
réfugiés espagnols (hommes, femmes et enfants)
quitte la gare d’Angoulême dans l’après-midi pour
le Reich.Après quatre jours de voyage, il atteint la
gare de Mauthausen en Autriche. Là, seuls les
hommes, y compris très jeunes, sont débarqués des
wagons et immatriculés.Puis le train repart et, après
maints détours, rejoint l’Espagne le 1er septembre

1940.
Ce transport organisé moins de deux mois après la
signature de l'armistice est le premier à quitter la
France, et plus largement l’Europe occidentale,
pour un camp de concentration nazi. Son histoire
est demeurée longtemps méconnue, tant en France
qu’en Espagne. Il a fallu attendre le 19 janvier 2008
pour qu’une stèle à lamémoire des Espagnols de ce
convoi soit réalisée et inaugurée.

Des républicains espagnols réfugiés
en pays charentais


Fin janvier et début février 1939, un afflux massif de
réfugiés espagnols franchit la frontière franco-espagnole
pour échapper aux troupes franquistes.C'est la
Retirada. Les autorités françaises, qui n’ont su ou
voulu rien prévoir de tel, improvisent dans l’urgence.
Les réfugiés sont d’abord regroupés dans des camps
proches de la frontière espagnole (Argelès-sur-Mer,
Saint-Cyprien, Le Boulou…), puis femmes, enfants
et une partie des vieillards et des blessés sont acheminés
vers l’intérieur du pays. C’est ainsi qu’un premier
convoi arrive en Charente le 31 janvier, suivi de
trois autres jusqu'au 12 février.Le 13 février 1939, le
département compte 4 211 réfugiés espagnols. Ils
sont répartis en divers lieux à Angoulême (centre
Fourcheraud place de la Gendarmerie, garageVallet
rue Fougerat, impasse d’Austerlitz dans d’anciens
locaux de l’entreprise Durand) ou dispersés dans les
environs, en particulier à Cognac. En raison du surpeuplement,
il faut rapidement trouver de nouveaux
lieux d’hébergement.En quelques jours, les ouvriers
de la fonderie de Ruelle située au nord-est
d’Angoulême réaménagent l’ancien camp de la
Combe aux Loups, datant de la Première Guerre
mondiale, qui accueille bientôt près de 2000 réfugiés.
Toutefois la Fonderie de Ruelle souhaite récupérer
son terrain et un nouveau camp est aménagé à partir
de juillet 1939 à la sortie d'Angoulême, sur la route
de Bordeaux. Le 1er septembre, les 1 800 Espagnols
de Ruelle sont transférés au camp des Alliers. Ceux
qui avaient été dispersés aux alentours
d’Angoulême,notamment hébergés chez les particuliers
arrivent peu après. Les Alliers deviennent le
principal centre de regroupement des réfugiés espagnols
de Charente. Le camp dont il ne subsiste plus
de traces aujourd'hui, comporte 8 baraques pour le
logement, une baraque de bureaux, une pour les cuisines
et une pour l’infirmerie. Il couvre un peumoins
d’1,4 hectare et est placé sous la responsabilité de
l’inspecteur de policeAristide Soulier, surnommé le
Commissaire par lesEspagnols.Les réfugiés peuvent
encore entrer et sortir librement du camp, notamment
pour aller travailler. Puis par suite de rapatriements
plus ou moins contraints et de divers mouvements,
le camp compte un peumoins de 800 réfugiés
début avril 1940.
Lors de la débâcle de juin 1940, beaucoup
d’Espagnols se retrouvent sur les routes aux côtés
des Français pour échapper à l’offensive allemande :
des civils, mais aussi des hommes enrôlés dans l’armée
française, en particulier dans les Compagnies de
Travailleurs Étrangers (CTE), dont les unités sont
désorganisées. Un certain nombre convergent vers
Angoulême où la rumeur signale l’existence d’un
camp d’accueil pour Espagnols et où les blessés
seraient soignés. David Espinos, affecté à une CTE
qui travaille successivement à la construction de
routes dans les Alpes, puis au déchargement de
bateaux de coton dans les ports de LaRochelle et de
Rochefort rapporte : « Au début du mois de
juin 1940, les soldats français qui nous surveillaient au
travail, nous ont dit que les troupes allemandes envahissaient
la France, et nous ont conseillé de partir où
l’on voudrait. Comme j’avais de la famille à
Angoulême, j’ai rejoint cette ville. J’ai retrouvé ma
famille au camp des Alliers situé à proximité de cette
ville ». L’effectif du camp se trouve bientôt porté à
près de 1 500 réfugiés à la fin du mois de juillet.

Les débuts de l'occupation allemande
et les premières menaces


Les troupes allemandes pénètrent à Angoulême le
24 juin 1940. Côté allemand comme côté français, la
présence de ces réfugiés estmal perçue,d'autant que
des incidents se multiplient contre les autorités d'occupation.
Un soir de juillet, les soldats allemands
organisent une première opération contre les
Espagnols du camp des Alliers où ils font irruption,
regroupent les réfugiés, séparent les hommes des
femmes et des enfants, et procèdent à une fouille en
règle à la recherche d’armes. Selon Dolorès
Sangüesa, une jeune interprète du camp, l’opération
aurait été menée à la suite de la coupure d’un câble
de communication des troupes allemandes route de
Bordeaux. N’ayant rien trouvé, « les Allemands sont
repartis comme ils sont arrivés » (JoseAlcubierre).À
la même époque, plusieurs sabotages sont signalés à
la Poudrerie d’Angoulême qui emploie de nombreux
Espagnols. Un autre aurait été commis sur la
voie ferrée Paris-Angoulême dynamitée à la sortie
de la ville. Le 8 août, nouvel incident : un soldat allemand
est blessé à la tête à coups de bâton.
Ces « Rouges espagnols » font rapidement figure de
menace aux yeux des autorités d'occupation, même
si leur implication dans ces événements n'est pas certaine.
Le 13 juillet 1940, les autorités militaires allemandes
donnent l'ordre de regrouper tous les réfugiés
espagnols du département dans un camp proche
d’une voie ferrée pour les livrer aux autorités franquistes.
Le 28 juillet, le ministère de l’Intérieur, sur
ordre des autorités allemandes, demande au préfet
Georges Malick de diriger les Espagnols de
Charente vers la Dordogne en zone libre. Le lendemain,
le préfet prend contact avec son collègue de
Périgueux et lui annonce l’arrivée prochaine de 2000
réfugiés espagnols environ demeurant au Centre des
Alliers.Le 17 août, parlant toujours d’un départ vers
la zone libre, il prescrit au commandant de
Gendarmerie d’Angoulême de faire procéder au
recensement « de tous les Espagnols qui seraient à
diriger sur le camp desAlliers » et souhaite qu’on lui
« rende compte, au fur et à mesure, de l’exécution des
présentes instructions en précisant notamment l’arrivée
approximative au Camp des Alliers ainsi que le
nombre » pour en informer les autorités allemandes
et françaises, et pour « organiser en conséquence les
trains de départs ».

Le piège se referme sur les Espagnols
d'Angoulême


Le 20 août 1940 dans la matinée, les forces allemandes
ceinturent le camp des Alliers. Certains
Espagnols parlent de 8 heures, d’autres indiquent
plutôt la fin dematinée, vers 11 heures.En revanche,
ils sont tous d’accord ou presque sur le fait que ce
sont desAllemands qui mènent l’opération, des soldats
de laWehrmacht et des Feldgendarmes probablement,
des « hommes armés qui descendent de
leurs motos » (Pablo Escribano). Faisant irruption
dans les baraques, ces derniers crient aux occupants
de prendre avec eux tout ce qu’ils peuvent emmener
pour le voyage. Ils sont ensuite regroupés devant les
portes des bureaux, avant d’être mis en formation et
de quitter à pied les Alliers en direction de la gare
d’Angoulême.Aucune explication ne leur est fournie
et beaucoup pensent qu’on les conduit en zone libre.
Personne ne cherche véritablement à fuir espérant
trouver demeilleures conditions d’existence là où on
les emmène.
En réalité, la rumeur de la formation d'un transport
circule depuis plusieurs jours àAngoulême.Les gens
travaillant dans les bureaux du camp ont entendu
parler du recensement des réfugiés espagnols.
Aristide Soulier aurait confié à Dolores Sangüesa
qu'un train de réfugiés allait être organisé pour la
zone libre et que ceux qui le pouvaient devaient fuir
le camp desAlliers.La rumeur s’amplifie et plusieurs
familles suivent son conseil, notamment dans la nuit
du 19 août. Certains patrons dissuadent aussi leurs
employés espagnols de rentrer au camp à la fin de
leur journée de travail et les hébergent pour la nuit.
Selon d'autres rumeurs, les Espagnols seraient transférés
vers la Norvège, la Russie, ou encore la
Hollande où ils seraient installés dans desmaisons et
où ils pourraient travailler librement. Pour beaucoup,
la pire crainte reste celle d’un retour en
Espagne. Ce 20 août au matin, personne ne sait
encore où lesAllemands les conduisent.
À leur arrivée à la gare d'Angoulême, les Espagnols
découvrent un train composé de 20 à 30 wagons de
marchandises. La gare est remplie de soldats allemands
mitraillettes au poing. Les Espagnols doivent
embarquer à raison d’une quarantaine par wagon.
Les hommes, les femmes et les enfants restent groupés
par famille.Dolores Sangüesa arrive à la gare en
voiture en compagnie d'Aristide Soulier qui lui
donne l’ordre de compter les réfugiés. Elle s’arrête
au pied de chaque wagon et note sur un carnet le
chiffre donné par les passagers.À la fin de sa tâche,
elle communique les données au commissaire
Gaston Couillaud qui lui révèle la véritable destination
du train, l’Allemagne. Interrogée par la journaliste Montse Armengou
plus de 60 ans après les faits,
Dolores Sangüesa parle de « 920 et quelques »
Espagnols embarqués dans le train. Un billet non
daté conservé aux Archives départementales de la
Charente fait état de 437 femmes et enfants, 490
hommes, soit au total 927 personnes, sans qu’on
sache si cet effectif correspond au transport du
20 août ou à l’un des recensements menés précédemment.
On est donc bien loin des chiffres annoncés par le
préfet Malick quelques jours plus tôt (autour de
2000).Des Espagnols desAlliers ont été alertés de la
rafle et ont pu fuir à temps. Ceux qui logeaient en
ville, n'ont souvent pas répondu à l'ordre de la
Kommandantur de se présenter à la gare avec leurs
bagages. La plupart échappent ensuite aux opérations
de police menées en ville, souvent grâce à la
complicité d'Angoumoisins. La famille Arce n'a pas
cette chance :Firmin, le père,Teresa, lamère, et leurs
trois fils, Jose, Edmundo etArmando, sont arrêtés à
leur domicile (45 rue Fontaine du Lizier) à l'heure
du déjeuner. Il semble aussi que les opérations visant
à regrouper au camp desAlliers le plus grand nombre
d'Espagnols n’étaient pas achevées le 20 août,
comme le mentionne le sous-préfet de Cognac le
jour même dans une lettre adressée au préfet
Malick : « J’ai l’honneur de vous faire connaître que
le rassemblement des Espagnols à évacuer sur le
département de laDordogne s’opère dans les conditions
les plus défectueuses…Hier après-midi, j’ai été
enfin avisé d’ordonner le départ sur Angoulême
pour ce matin et, naturellement, sans que suivent les
mesures appropriées, c’est-à-dire l’encadrement
d’un convoi ». Il ajoute : « Tout compte fait 39
Espagnols se sont décidés à prendre le train àmidi »,
les autres ayant pu facilement s’y soustraire.


En route vers l'inconnu

L’attente en gare d’Angoulême se prolonge durant
plusieurs heures, peut-être le temps d’achever les
opérations de regroupement des réfugiés. Hommes,
femmes et enfants sont enfermés dans les wagons et
commencent à souffrir de l’entassement et de la chaleur.
Certains voudraient descendre chercher de
l’eau mais les Allemands s’y opposent brutalement.
Àl’embarquement, les passagers ont reçu un peu de
nourriture : du pain et des boîtes de sardines disent
certains,d’autres parlent de pain et de fromage.Dans
leur wagon, JoseAlcubierre et Lazaro Nates croient
n’avoir reçu aucune nourriture,mais soulignent que
les femmes avaient heureusement emmené avec
elles de quoi manger.De la paille est étendue au sol
et il y a quelques seaux pour les besoins.Les familles
sont restées groupées et on compte quelques très
jeunes enfants. JoseAlcubierre se rappelle ainsi d’un
bébé âgé de 7 ou 8 mois qui pleurait de temps en
temps.FirminArce et Pablo Escribano confirment la
présence dans leswagons demères avec des bébés et
de jeunes enfants.
En milieu d’après-midi, le train démarre enfin. La
plupart des passagers pensent encore partir pour la
zone libre ; les plus pessimistes craignent un retour
enEspagne.Ceux qui parviennent à lire les noms des
gares traversées comprennent rapidement que ni la
zone libre ni l’Espagne ne constituent la destination
du train qui file vers le nord. Il est extrêmement difficile
de reconstituer son trajet avec précision, néanmoins
on sait que le train passe par Poitiers,Orléans,
puis Paris sûrement, avant de prendre la direction de
l’Allemagne. Le lendemain, la situation se dégrade
dans les wagons en raison du manque de nourriture
et d’eau, de l’entassement et d’une ventilation insuffisante.
Des problèmes de déshydratation commencent
à apparaître, notamment chez les plus jeunes, et
des passagers éprouvent des difficultés pour respirer
et parler. Certains s’évanouissent. Le troisième jour,
le train traverse le Rhin à Strasbourg, passe à Kehl,
puis Stuttgart etMunich. Il semblemarquer un arrêt
prolongé dans l'une de ces gares. Selon certains
témoins, les portes des wagons s’ouvrent et les passagers
sont invités à descendre sans brutalité. On leur
distribue de l’eau et de la soupe en quantité.
Cependant, d’autres passagers n'ont pas le souvenir
d'être descendus des wagons durant les 4 jours du
voyage.
Le train prend ensuite la route de Salzbourg avant
de quitter la voie principale menant à Vienne. C’est
très tôt dans la nuit du 23 au 24 août qu'il s'immobilise
dans un petit village situé au bord du Danube :
Mauthausen. Rien ne se passe durant plusieurs
heures. Dans l'après-midi, les passagers distinguent
des mouvements dans la gare. Les portes s’ouvrent
précipitamment et des officiers SS ordonnent aux
hommes de descendre. Ceux qui résistent sont
empoignés de force. Les familles se retrouvent brusquement
scindées. Chez les Ramos, par exemple,
Belarmino le père et les deux fils aînés,Manuel né en
1923 et Galo né en 1924 doivent quitter le train,alors
qu’Anselma la mère et ses enfants les plus jeunes,
Jesus né en 1926 et Maria Luisa née en 1927 restent
dans le wagon. Felix Quesada, âgé de 14 ans—il est
né le 4 mai 1926—, est le plus jeune à descendre du
train. Une fois l’opération terminée, les portes se
referment brutalement.Les hommes sont regroupés
en queue de train, cinq par cinq, sont comptés et
recomptés avant de recevoir l'ordre de se mettre en
marche.



Le départ d’Angoulême

« Le 20 août, lesAllemands ont encerclé le camp vers 11 heures et demi,midi.
Ils sont rentrés dans les baraques et ont dit : “Prenez ce que vous pouvez
emporter et en avant !”. Ils nous ont mis en formation. Moi, comme j’étais
jeune, de suite je me suis mis avec mon père et ma mère ensemble, au cas où
il arrive quelque chose.Nous avons été du camp desAlliers à la gare de marchandises
d’Angoulême à pied, gardés par des soldats allemands.
. Là, ils nous ont fait monter dans des wagons, des wagons à bestiauX
Combien par wagon,je ne peux pas dire…30 ou 40 ou 50…les familles étaient réunies.
Vers 2 h 30,  3 heures de l’après-midi peut-être, ils ont fermé les portes et le train a démarré […]. On avait peur. Les uns disaient qu’on allait en Espagne, les autres qu’on allait dans la zone non occupée, les autres qu’on allait travailler en Allemagne ».
JoséAlcubierre Pérez

« Nous avons vu les Allemands descendre de leurs motos. Ils encerclèrent
le camp espagnol. Pourquoi ? Personne ne savait pourquoi. Ils ont simplement
encerclé le camp. Des hommes armés sont descendus de ces motos et ont
détruit toutes les baraques…une catastrophe !Une catastrophe ! Ils criaient :
“Raus, alle Raus !” (Dehors, tout le monde dehors !). Ils firent évacuer le
camp entièrement, hommes, femmes, enfants…tout lemonde,même les blessésblessés de la guerre civile. Les soldats nous ont mis en formation et
nous ont fait marcher jusqu’à la gare d’Angoulême où ils nous ont fait monter
dans des wagons de marchandises […]. Nous avons demandé aux Allemands
s'ils savaient où nous allions. Ils ne nous ont pas dit un mot ».
Pablo Escribano Cano


La longue odyssée du train d'Angoulême

Pendant de longues minutes les cris et les pleurs des
femmes et des enfants restés dans les wagons se font
entendre. Ils redoublent lorsque le train redémarre
subitement.Après un retour surMunich, semble-t-il,
le train prend la direction de Berlin et marque deux
arrêts prolongés, l’un dans un tunnel à quelques kilomètres
de Berlin en raison d’un bombardement
aérien allié, et l’autre dans une gare où des femmes
en rayé leur donnent à manger selonAurora Cortes
(dont le père et les trois frères ont été débarqués à
Mauthausen). Il est fort probable que cette gare soit
celle de Fürstenberg et que le camp soit celui de
Ravensbrück. Mais, après plusieurs heures, les portes
se referment et le train repart vers l'Ouest. Il gagne
la France et repasse parAngoulême où il enregistre
un court arrêt pour permettre le débarquement
d’une des passagères, Dolores Martinez, qui souffre
d’une forte fièvre. Les Allemands craignent une
contagion. Il ne s’agit en réalité que d’une crise d’appendicite.
Les réfugiés restés à Angoulême apprennent
ainsi le terrible destin de leurs compatriotes
embarqués le 20 août et redoutent dès lors l’organisation
d’un second convoi.
Après Angoulême, le train prend la direction de
l’Espagne où il pénètre le 1er septembre 1940 par
Irun avec 442 femmes et enfants à son bord selon
une note espagnole du 11 septembre 1940. Après
avoir reçu un peu àmanger, les passagers sont répartis
selon leur lieu d’origine. Si certaines femmes ne
sont pas inquiétées, d’autres sont emprisonnées
jusqu’à ce qu’une personne de connaissance se porte
garante pour elles auprès du régime franquiste. À
leur retour, les familles retrouvent leur maison souvent
occupée.Chez lesValcelles,par exemple, le père
et le fils aîné ont été débarqués à Mauthausen. Le
reste de la famille rentre le 12 septembre à Calaceite
(Teruel) en Catalogne. Mais les nouvelles autorités
ont confisqué leurs maisons et leur fabrique d’huile.
Ils doivent dormir chez leurs grands-parents sans
pouvoir protester. Ces « Rouges » sont étroitement
surveillés, les femmes devant souvent se présenter
toutes les semaines au poste local de la Guardia
Civil. Ils sont contraints au silence alors même qu’ils
ignorent pendant de longs mois le sort de leurs
parents descendus en gare de Mauthausen. Ce n’est
qu’à partir de 1943, en effet, que les détenus peuvent
écrire de courtes cartes à leurs proches rentrés en
Espagne.


  Sur la photo on voit Ramon RIOS FANJUL
entouré de 7 des membres de sa famille, tous déportés depuis Angoulême.Né en 1875, RamonRIOS FANJUL est le seul à être demeuré en détention à Mauthausen, le reste de sa famille étant finalement envoyé enEspagne franquiste.Il décède le 12 mai 1941 à Gusen.


Luzdivina , une autre des filles de Ramon qui faisait aussi partie du convoi .


Diligence française et silence complice
de l’Espagne


LesAllemands semblent être les principaux instigateurs
de ce transport du 20 août. Ce sont eux qui
ordonnent au ministère de l’Intérieur français de
faire procéder à l’évacuation des réfugiés espagnols
vers la zone non occupée.Ce sont eux également qi
procèdent aux arrestations et convoient les réfugiés
vers l’Autriche. Ni le préfet Malick ni Aristide
Soulier ne semblent connaître le véritable dessein
des Allemands, parlant d’un bout à l’autre d’un
transport pour la zone libre. Ils se contentent d’agir
en bons fonctionnaires, tâchant d’inclure le plus de
réfugiés dans l’opération d’autant plus que les
Espagnols ont mauvaise presse auprès de la population
locale.Nul doute que le préfetMalick y voit une
bonne occasion de se débarrasser rapidement de ces
« indésirables ». Cependant, l’attitude d'Aristide
Soulier peut laisser planer un doute. Pourquoi a-t-il
recommandé à ses proches collaborateurs de fuir les
Alliers et de se cacher quelques jours s’il pensait
réellement que le convoi partait pour la zone libre ?
Peut-être savait-il que la destination était en fait
l’Allemagne sans pour autant avoir connaissance du
sort qui attendait les réfugiés sur place.
L’Espagne fait quant à elle preuve d’un silence persistant
face aux initiatives allemandes. Ainsi, le
20 août, l'ambassade d'Allemagne àMadrid adresse
une note verbale au ministère des Affaires étrangères
espagnol faisant suite à une information communiquée
à l’ambassade espagnole à Berlin. Elle
souhaite savoir si le gouvernement espagnol est disposé
à prendre en charge environ 2 000 Rouges
espagnols internés à Angoulême. Elle propose à la
police de sûreté espagnole son concours pour capturer
les dirigeants Rouges espagnols. La note reste
sans réponse.Nouvelle demande le 28 août, sans plus
de succès. Il faut comprendre que l’Allemagne
donne l’occasion à l’Espagne de se débarrasser à peu
de frais de ces ennemis du franquisme. Si le long
arrêt marqué par le train en gare de Mauthausen a
pu être interprété comme le signe évident de négociations
entre l'Allemagne, l'Espagne et Vichy, on
peut en réalité penser que celui-ci découle davantage
de l’embarras des autorités du camp qui ne savaient
que faire de ces familles entières. Le camp de
Mauthausen est encore en construction à cette
époque et n’intègre que des hommes.
En réalité, ce train d’Angoulême n’est pas une première
pour les autorités allemandes.Depuis le début
d’août 1940, elles ont déjà organisé trois transports
d’Espagnols capturés durant la campagne de France
et détenus dans des stalags enAllemagne. Le 4 août
1940, 398 Espagnols sont extraits du stalag VII A
Madrid le 20 août 1940. Note verbale N° 2779/40 - Nr : 648/40
Ministère des affaires étrangères :
L’ambassade allemande salue le Ministère des affaires étrangères et a
l'honneur de demander à propos d’une information communiquée à votre
ambassade à Berlin, si le gouvernement espagnol est prêt à prendre en charge 2 000 Rouges
espagnols qui sont internés, pour le moment, àAngoulême en France.
L’ambassade s’honore, à cette occasion, de préciser que les autorités allemandes
sont bien volontiers disposées à prêter leur concours à la police espagnole de lasûreté et conformément à leur souhait de poursuivre et procéder à la capture desdirigeants Rouges espagnols.

La note reste sans réponse.Nouvelle demande le 28 août, sans plus
de succès. Il faut comprendre que l’Allemagne
donne l’occasion à l’Espagne de se débarrasser à peu
de frais de ces ennemis du franquisme. Si le long
arrêt marqué par le train en gare de Mauthausen a
pu être interprété comme le signe évident de négociations
entre l'Allemagne, l'Espagne et Vichy, on
peut en réalité penser que celui-ci découle davantage
de l’embarras des autorités du camp qui ne savaient
que faire de ces familles entières. Le camp de
Mauthausen est encore en construction à cette
époque et n’intègre que des hommes.
En réalité, ce train d’Angoulême n’est pas une première
pour les autorités allemandes.Depuis le début
d’août 1940, elles ont déjà organisé trois transports
d’Espagnols capturés durant la campagne de France
et détenus dans des stalags enAllemagne. Le 4 août
1940, 398 Espagnols sont extraits du stalag VII A Moosburg (Bavière) pour
être internés à Mauthausen où ils sont immatriculés le 6 août. Ils
sont suivis de 165 prisonniers du stalag I B
Hohenstein (Pologne) le 9, et de 91 Espagnols du
stalag IX A Ziegenhain (près de Kassel) le 13. En
fait, ce n’est que le 25 septembre 1940, au lendemain
d’une longue visite en Allemagne de Ramon
Serrano Suner, ministre de l’Intérieur espagnol et
beau-frère de Franco, qu’une circulaire allemande
règle définitivement le sort des républicains espagnols.
Considérés comme des « ennemis du Reich »,
ces antifascistes seront désormais déportés de façon
systématique. Cette décision confère une dimension
officielle à une politique à l’oeuvre depuis plus d’un
mois et demi et ayant déjà conduit plus d’un millier
d’Espagnols au camp deMauthausen.Environ 6 000
y seront transférés par la suite.
430 réfugiés espagnols immatriculés àMauthausen
Les réfugiés d’Angoulême débarqués en gare de
Mauthausen ignorent encore tout du sort qui les
attend, le nom de la petite localité autrichienne
n’évoquant rien pour eux. Ils parcourent les
quelques kilomètres qui les séparent du camp sous
les cris des SS et doivent aussi subir les injures et les
crachats de la population locale. La colonne pénètre
dans le camp en passant sous le grand portail surmonté
d’un aigle. Commencent ensuite les étapes
ordinaires réservées aux nouveaux arrivants : tonte,
désinfection, douche, habillement, enregistrement.

Les détenus reçoivent un habit rayé (ou des vêtements
de récupération), un matricule et le triangle
bleu réservé aux apatrides, (Franco les ayant déchus
de la citoyenneté espagnole),marqué toutefois de la
lettre S pour Spanier (Espagnol). Au total, 430
Espagnols venant d’Angoulême sont enregistrés ce
24 août à Mauthausen1. Ils portent des matricules
compris entre les numéros 3808 et 4237.Ce chiffre de
430 entrées est attesté par une liste dressée au camp
et communiquée à la FMDpar leGedenkstätte KZMauthausen.
Il doit être considéré comme le nombre
réel des Espagnols enregistrés ce jour-là.
Cependant, l’examen des dossiers individuels de ces
détenus conservés au Bureau des Archives des
Victimes des Conflits Contemporains du ministère
de la Défense à Caen laisse à penser que quelquesuns
ne viennent pas d’Angoulême mais plutôt du
stalag XI B Fallingbostel. On peut supposer qu’ils
sont arrivés à Mauthausen le 23 août et qu’ils ont
été enregistrés le 24 au milieu des réfugiés
d’Angoulême.
Ce chiffre de 430 entrées suscite des interrogations
au sujet du nombre total des Espagnols ayant quitté
Angoulême.En effet, si on rapporte ce chiffre à celui
des femmes et enfants débarqués à Irun (442), si on
tient compte aussi de la femme descendue à
Angoulême, on arrive à un total de 853 passagers et
non 927.Apriori,cette différence ne peut s’expliquer
par des décès durant le trajet.Même si les conditions
ont été très difficiles, il semble qu’aucun décès n’ait
eu lieu durant les quatre jours de voyage. C’est en
tout cas ce que rapportent plusieurs témoins qui
n’ont pas plus le souvenir d’évasions. Pour certains,
les réfugiés les plus âgés, en particulier les mutilés,
auraient été exécutés dès l’arrivée au camp et n’auraient
donc pas été enregistrés.Cette rumeur semble
en réalité infondée. Jose CortesGarcia,par exemple,
était unijambiste. Devenu le matricule 4221, il est
transféré à Gusen en janvier 1941 avant d’être gazé
au château d’Hartheim le 25 septembre 1941, soit
plus d’un an après son arrivée à Mauthausen !
L’explication est plutôt à chercher dans les circonstances
du comptage au départ d’Angoulême.
Dolores Sangüesa, qui en a la charge, ne fait que
reporter sur son cahier,wagon après wagon, les chiffres
communiqués par les passagers.Elle ne procède
pas elle-même au comptage et on peut penser que
certains wagons ont donné des chiffres plus importants,
notamment dans l’espoir de recevoir plus de
nourriture. Par ailleurs, les autorités françaises n’auraient-
elles pas gonflé leur performance auprès des
autorités d’occupation ?
Parmi ces 430 Espagnols, le plus jeune, Felix
Quesada, n’a que 14 ans. Le plus vieux, Bautista
Sabate est né en janvier 1872 et a donc 68 ans. Au
total, 60 % ont entre 20 et 40 ans, 28 % ont plus de
40 ans et 12 % ont moins de 20 ans. Parmi les plus
jeunes, 17 ont moins de 16 ans au moment de leur
entrée àMauthausen.Parmi les plus âgés,17 ont plus
de 60 ans. Il est à noter que plusieurs Espagnols
parmi les adolescents se sont volontairement rajeunis
d’un ou deux ans. Jose Alcubierre qui est né le
9 mai 1924 déclare le 8 mai 1926 lors des procédures
d’enregistrement.
Lazaro Nates , Fernando Pindado et d’autres font de même. Ils espèrent
ainsi se faire exempter des tâches les plus dures. Près du quart de
ces Espagnols sont nés en Andalousie, principalement
dans les provinces de Cordoue et de Malaga.
La Catalogne est l’autre grande région d’origine :
près d’un Espagnol sur cinq y est né, en particulier
dans les provinces de Barcelone et de Tarragone.
L’Aragon vient en troisième puisque 13 % environ
des Espagnols d’Angoulême y sont nés,puisMadrid,
la Castille et lesAsturies. Plus du quart sont issus de
l’agriculture, près de 20%du commerce et de l’artisanat,
mais la catégorie la plus importante est celle
des ouvriers de l’industrie, des mines et du bâtiment
(40 % du total). Mais, on trouve aussi parmi eux
quelques employés, 5 professeurs, 2 industriels, un
officier de la marine, un pharmacien ou un vétérinaire
par exemple.


L’arrivée à la gare de Mauthausen

«À Mauthausen, le train s'est arrêté.Moi, je neme suis pas rendu compte que
le train s'arrêtait, je dormais.Mais, le lendemain matin, par la lucarne, j’ai vu
qu’il faisait jour. J’ai demandé àmon père :“ça fait longtemps qu’on est arrêté
là ?”.Mon père m’a dit : “Fiston, je ne sais pas à quelle heure on a pu arriver
mais je crois que ça fait un bon moment… à 2 ou 3 heures du matin” […].
Quand ils ont ouvert les wagons, moi comme j'étais jeune, l’Allemand m’a
parlé mais je ne comprenais pas.Alors avec la main, il m’a fait quel âge à peu
près. J'ai compris quel âge, alors je lui ai dit 15 ans. Il m’a dit de descendre
en bas du wagon. Tous les hommes et les jeunes hommes sont descendus. Ma
mère, les autresmères et fiancées ont commencé à crier quand ils nous ont
dit : “Marchez, en avant”.Et on a commencé à marcher. Je crois que des fois
je les entends encore… on était au loin et on entendait crier dans les wagons ».
JoséAlcubierre Pérez



« Le 24 août 1940, on est arrivé à la gare de Mauthausen […].À la gare, on a
attendu longtemps parce qu’on est arrivé de bonne heure, de nuit. Enfermés
dans les wagons, on ne pouvait pas sortir […].Des officiers SS ont encerclé
le train et ont commencé à ouvrir les portes,wagon après wagon, en criant :
"Wie alt, wie alt ?” (Quel âge, quel âge ?). Sitôt qu’on avait dit, ils faisaient
signe avec les mains…Raus, en bas du wagon.Une fois qu’ils avaient contrôlé
tout le wagon, ils verrouillaient à nouveau la porte et ils passaient à un autre
wagon…et un autre wagon jusqu’à la fin. Je crois qu’il devait y avoir dans les
22 ou 23 wagons […].Au fur et à mesure qu’ils nous sortaient des wagons, ils
nous emmenaient à l’arrière du train en formation et on attendait encadrés
par les SS. Quand ils ont fini de contrôler tous les wagons, les SS ont
commencé à nous faire marcher vers le camp de Mauthausen, de l’autre côté
du village, à 5 kilomètres environ ».

Jesùs Tello Gomez




Vie et mort des Espagnols d'Angoulême
au camp deMauthausen


Passées les formalités d’entrée au camp, les
Espagnols d’Angoulême sont répartis dans plusieurs
blocks, en particulier les numéros 16, 17 et 18.Dans
les premiers jours, si quelques jeunes sont désignés
pour nettoyer les baraques, la plupart sont rapidement
affectés à la carrière de granite (Wiener
Graben), située en contrebas du camp, où ils travaillent
durant de longues heures, sous les insultes et les
coups des Kapos, à l’extraction et au transport de
pierres. Certains doivent gravir plusieurs fois par
jour les 186 marches de l’« Escalier de la mort »



                               


menant au camp, une lourde pierre sur le dos.
D’autres sont affectés à
des chantiers de construction où le travail se révèle
également épuisant pour des organismes souffrant du manque de nourriture.

Dans ces conditions, le premier décès ne tarde pas à intervenir parmi les Espagnols d’Angoulême :
EnriqueRios Llorente, âgé de 50 ans,meurt le 7 septembre
1940.
Cependant, les décès demeurent limitésjusqu’à la fin de l’année 1940.


Au début de 1941, la plupart des Espagnols
d’Angoulême (près de 88 %) sont transférés au
Kommando de Gusen, en particulier par deux gros
transports, le premier le 24 janvier (au moins 254
Angoumoisins) et, le second, le 17 février (au moins
83). Ils participent avec les Espagnols extraits de stalags
à l’aménagement de ce Kommando situé à 4,5
kilomètres à l’ouest du camp central, et officiellement
ouvert le 25 mai 1940. La mortalité y est
effrayante parmi les Espagnols. Ainsi, sur les 378
réfugiés d’Angoulême qui y sontmutés,340 trouvent
la mort, soit un taux de décès de l’ordre de 90%! Si
281 décèdent auKommandomême, 59 sont conduits
depuis Gusen au château de Hartheim où ils sont
aussitôt gazés. Au total, sur les 430 Espagnols
d’Angoulême, 354 trouvent la mort en déportation,
soit un taux de décès d’environ 82 %, ce qui en fait
l’un des transports les plusmeurtriers puisque le taux
global calculé pour les 6 800 Espagnols recensés parla FMD à ce jour se situe autour de 64%. Les décès
surviennent surtout dans les premiersmois de détention
puisque 334 ont déjà trouvé la mort à la fin de
février 1942. À noter enfin que deux « survivants »
meurent peu après leur rapatriement en France des
suites de leur déportation et que le devenir d’un dernier
reste à ce jour inconnu.
Parmi les Espagnols d’Angoulême, il faut cependant
souligner le sort particulier qui fut celui des plus
jeunes qui ont pu bénéficier, pour la plupart, d’une
relative protection. Deux ont d’abord fait l’objet
d’unemesure exceptionnelle de libération.Fernando
Pindado, né en 1925, est libéré le 29 juillet 1941 du
camp central. Il semble que l’un de ses oncles, un
militaire en retraite, a joué de ses relations auprès du
ministère espagnol desAffaires étrangères pour que
celui-ci demande sa libération.Après un passage par
le consulat espagnol de Vienne, il est conduit dans une prison de la ville, puis à Berlin avant de prendre
un train pour l’Espagne. Juan Bautista Nos Fibla, né
en 1924, est lui libéré le 22 août 1941 « parce qu’il
n’est pratiquement encore qu’un enfant » alors que
son père trouve la mort à Gusen au mois d’octobre
1941. De retour en Espagne, l’un et l’autre doivent
garder le silence sur ce qu’ils ont vécu durant leur
détention enAutriche.
Par ailleurs, les membres du Kommando Poschacher
jouissaient d’une position assez privilégiée dans le
camp. Formé au début de l’année 1942, ce
Kommando réunissait une cinquantaine de très
jeunes Espagnols. Sur les 52 qui ont été identifiés, 24,
nés entre 1920 et 1926, faisaient partie du convoi
d’Angoulême. Les « Potchacas », comme on les
appelait à Mauthausen, étaient vêtus en civil mais
avec 2 bandes de peinture rouge sur leur chemise
ainsi qu’une tonsure aumilieu du crâne.Leurs conditions
de travail dans la carrière étaient très difficiles,
car ils devaient transporter de lourdes pierres
jusqu’au Danube puis les charger sur des bateaux,
mais ils étaient mieux traités et surtout mieux nourris
que leurs compatriotes. À partir d’octobre 1944,
ils ne sont plus logés au camp central mais dans une
baraque construite à proximité du village. Ils ne
dépendent plus de Mauthausen que pour la nourriture
et peuvent facilement circuler au milieu des
civils. C’est grâce à eux que purent être sortis du
camp central et dissimulés les négatifs dérobés par
deux autres Espagnols,Antonio Garcia et Francisco
Boix du labo photo. Jacinto Cortes et Jesus Grau se
chargèrent du transport hors du camp des négatifs
qui furent remis à Anna Pointner, une habitante du
village, qui elle-même les cacha dans le mur de son
jardin jusqu’à l’arrivée desAlliés.
Le convoi d’Angoulême occupe une place tout à fait
singulière au sein de la déportation partie de France.
Il se distingue d’abord par la date très précoce de sa
constitution qui en fait le premier transport de
déportés au départ du territoire français,plus d’un an
et demi avant le premier transport de Juifs quittant
Compiègne pour Auschwitz. Sa composition constitue
une autre originalité puisqu’il conduit vers le
Reich, non des Français,mais des réfugiés espagnols
antifascistes, des civils pour l’essentiel et des membres
de CTE, souvent déportés par familles entières.
Enfin, la séparation des familles en gare de
Mauthausen lui confère un caractère dramatique
que renforce l’effroyable mortalité touchant le
groupe des hommes. Bien que des zones d’ombre et
des incertitudes subsistent encore, ces particularités
en font un transport unique dans l’histoire de la
déportation de France.


Arnaud BOULLIGNY et Vanina BRIERE

lArnaud Boulligny est chargé de recherche auprès de la FMD, responsable
de l’équipe de recherche formée à Caen au sein du Bureau des Victimes
des conflits contemporains (BAVCC) du SHD/DMPA, et doctorant de
l’université de Caen Basse-Normandie (CRHQ). Il prépare une thèse
consacrée aux travailleurs français arrêtés au sein du Reich et internés en
camp de concentration, sous la direction du Professeur Jean Quellien.
Vanina Brière est chargée de recherche auprès de la FMD et doctorante
de l’université de Caen Basse-Normandie (CRHQ). Elle prépare une thèse
sur les Français du camp de Buchenwald sous la direction du Professeur
Jean Quellien.


©
24 août 1940. (Extrait des listes mémoriales)
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